vendredi 30 septembre 2011

Billet N°128 –Un nouveau kite-surfer dans la famille… !!!

Du Jeudi 22 Septembre au Samedi 1er Octobre 2011 –
Reportage en direct de l’Ile Rodrigues…

Casting

Figures académiques (ou pas…) par Marin, 14 ans, apprenti kite-surfeur.

Free-style par Jérôme, le boss (breton) d’Osmowings, anse Mourouk, Ile Rodrigues.

Encadrement par Bobo et Sidney, rodriguais d’appellation d’origine contrôlée, instructeurs de kite chez Osmowings..

Images et texte par Olivier, skipper … de l’annexe de Jangada !



Dédicace…

Ce billet est plus particulièrement dédié à « Tonton », alias Oncle Vincent, le webmaster émérite de Jangada autour du monde, par ailleurs chef kite-surfeur sur la côte varoise, et ailleurs aussi. Ce billet lui est dédié plus particulièrement…





Voilà ti pas que son neveu Marin, qui a récemment (23 Août) atteint l’âge de 14 ans, s’est vu offrir par papa-maman pour son birthday un stage d’initiation au kite-surf, mais pas n’importe où : à l’Ile Rodrigues, au cœur de l’Océan Indien, qui possède, je vous l’assure, l’un des plus beaux spots du monde pour la pratique de cette discipline sportive, pour laquelle il est préférable d’aimer le vent, les embruns, et les sensations fortes. Les images et le sujet de ce billet rappelleront d’ailleurs de bons souvenirs à certains d’entre vous, qui ont eu la bonne idée d’effectuer à Rodrigues, il y a de cela plus ou moins d’années, un voyage, sportif ou romantique.

Il faut savoir que l’île Rodrigues, auparavant et en premier lieu française (on y parle encore aujourd’hui un créole francophone délicieux à entendre), est située à un peu plus de 600 km à l’est de l’Ile Maurice, dont elle est une dépendance. L’île est entourée par un immense lagon d’eaux peu profondes, ceinturé par une barrière récifale, inondé de soleil et ventilé par les alizés, surtout de Juin à Octobre. Un caillou resté authentique au cœur de l’Océan Indien.



Comme le monde est petit, nous nous sommes aperçus il y a quelques semaines, en échangeant nos premiers messages avec Rodrigues depuis Bali, que nous connaissions Jérôme (Branellec), le patron du Club Osmowings, installé sur l’île depuis 15 ans. Nous l’avions rencontré chez nos amis de Locqmariaquer, Bernard et Anne, de l’agence Escales Polaires, qui organise des séjours-aventures dans le Grand Nord. (Tiens, voilà l’occasion, coucou les amis, comment ça va en Bretagne ? Et Papa Tango Charlie ? Pas trop encombrant le Land-Rover familial, qui squatte grave chez vous depuis notre départ? Doit s’ennuyer…).



Dès le jour de notre arrivée à Port-Mathurin, Jérôme traverse son île en scooter et vient à notre rencontre. Nous programmons le transfert de Jangada vers le sud dès que nous aurons épuisé les charmes du principal bourg de l’île, qui n’en manque pas. Lui qui rêve de se construire un trimaran à moteur à faible tirant d’eau (avec traction kite auxiliaire évidemment !) ne va pas se priver d’embarquer avec nous à bord de Jangada pour contourner Rodrigues par l’est. Deux heures plus tard nous franchissons la passe sinueuse et non balisée (mais profonde et nette) qui permet de gagner l’anse Mourouk et l’intérieur du lagon sud. Nous sommes le seul voilier voyageur à venir ici (et le 2ème en 15 ans d’après Jérôme), pour jeter l’ancre entre les récifs de corail, au beau milieu de cet incroyable plan d’eau aux couleurs bleues changeantes avec le ciel et l’heure de la marée.

Mais chaque jour, les belles pirogues de pêche rodriguaises, si bien adaptées à la navigation dans le lagon, viendront croiser à proximité de Jangada, gagnant leur lieu de pêche tôt le matin et en revenant à la nuit, glissant sur l’eau calme autour de nous jusque dans l’obscurité.

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Jangada devient  camp de base, les leçons de kite-surf peuvent commencer.

Allez, Marin, en piste !



Olivier





  • INFOS PRATIQUES



Comme le dit la pub «  Ile Rodrigues, coup de cœur garanti… »

Le coin des infos pratiques pour faire du kite ou séjourner cool à Rodrigues.

Allez sur Internet !

Rodrigues est relié à l’île Maurice par les avions de la compagnie Air Mauritius.

Notre ami, Jérôme Branellec, originaire de Vannes, vit depuis 15 ans à Rodrigues. Il a épousé Estenie,  rodriguaise pur jus avec qui il a deux enfants métis adorables, Marine et Noé. Jérôme est le fondateur et l’opérateur du club de kite-surf Osmowings (www.osmosis-rodrigues.com ou www.kitesurf-rodrigues.com) , le plus ancien de Rodrigues, établi dans le sud-est de l’île, à l’anse Mourouk. Il connaît le moindre recoin de l’immense lagon, qui constitue un incroyable plan d’eau pour le kite, sans nul doute l’un des plus beaux du monde (et pourtant l’équipage de Jangada a connu de jolis spots au cours de son voyage…). Voir évoluer Jérôme avec son kite dans les vagues qui brisent sur la barrière récifale au sud du lagon est un plaisir des yeux particulièrement esthétique. Avec lui, deux instructeurs de kite rodriguais, Sidney et Bobo, couleur locale assurée. Les riders préfèreront la saison ventée, de Juin à Octobre, pendant laquelle soufflent avec régularité les alizés de sud-est, parfois musclés (nous avons eu plusieurs grains à 35 nœuds au mouillage derrière l’îlot Hermitage, et souvent 18/22 nœuds stables).

Pour se loger, il y a le choix entre les pensions comme Le Couzoupa, La Terrasse, Le Coquillage ou encore La Belle Rodriguaise, l’une des meilleures. Tout à côté du club Osmowings, il y a aussi l’hôtel Mourouk Ebony, mais ne vous trompez pas de club de kite ! Dans le cercle des abonnés réguliers du club Osmowings, devenus au fil du temps des copains du boss, j’ai relevé une proportion non négligeable de pilotes d’Air France, en général bien renseignés sur les bons coups. Après avoir été longtemps associé à l’hôtel, Jérôme travaille désormais indépendamment, tout à côté, ce qui n’empêche pas nombre de ses fidèles de loger au Mourouk Ebony. Mais le mieux, pour ceux qui auraient la bonne idée de venir passer des vacances insolites à Rodrigues (randonnées à pied, location de scooters, marché de Port-Mathurin, excursions dans les îlots du lagon, gastronomie locale épicée, eaux turquoises - sable blanc - et filaos à volonté), est encore d’appeler directement Jérôme sur son portable au + 230 875 49 61 ! Rodrigues est décalé de 2 heures en avance par rapport à la France.

Kite-surf ou pas, je vous recommande un voyage à Rodrigues, c’est une destination insolite, préservée, loin du tourisme de masse. Idéale pour faire un break.

Coup de cœur garanti…
Photo 1 - Jangada au mouillage sur le tombant devant la passe sud-est de Rodrigues.

Photo 2 - Nous séjournerons la plupart du temps sous le vent de l'îlot Hermitage. Au fond, l'île aux Chats.
Photo 3 - Terrain de jeu illimité pour les kiteurs, Jangada est notre camp de base dans le lagon.
Photo 4 - Jérôme, le boss d'Osmowings, (bien) nourri à la salade d'ourites (poulpes), spécialité locale.
Photo 5 - Marin au briefing avec Jérôme, avant la 1ère leçon...
Photo 6 - Bon, ben yapluka ... y aller!
Photo 7 - Dans la pirogue du club, avec Bobo, on s'éloigne du rivage pour les premières tentatives...
Photo 8 - Allez, banzaï, départ en pleine eau...
Photo 9 - Position correcte, à balancer l'aile pour un départ à gauche...
Photo 10 - Evidemment, à la 1ère leçon, il y a eu un peu de spectacle...
Photo 11 - ... car le bazar ne se laisse pas faire...
Photo 12 - ...aussi facilement qu'on le voudrait!

Photo 13 - Toujours se remettre à l'ouvrage...
Photo 14 - ... même si parfois la situation est peu enviable...
Photo 15 - ... on mêm carrément limite!!!
Photo 16 - Au bout d'une heure de spectacle aquatique, le découragement a juste pointé son nez chez l'ado, vite évacué par Papa...
Photo 17 - Et puis, les choses se sont améliorées, et il y a eu moins de bazar.
Photo 18 - Alors Marin a pu tirer ses premiers bords, trop fun!
Photo 19 - L'hôtel Mourouk Ebony, juste à côté du club Osmowings.
Photo 20 - 2ème leçon, la technique rentre...
Photo 21 - Marin, bien décidé à progresser vite, va bluffer son monde!
Photo 22 - Départ de la plage du Mourouk...
Photo 23 - ... ou dans l'eau.
Photo 24 - Très vite, le bazar prend de l'allure...
Photo 25 - ... et Marin de l'assurance!

Photo 26 - Tiens, voilà le boss sur l'eau...
Photo 27 - ... qui vient nous dire bonjour!
Photo 28 - Evidemment, ça a de la gueule...
Photo 29 - ... mais là, j'ai pas tout compris!
Photo 30 - 3ème leçon!
Photo 31 - La plage du Mourouk...
Photo 32 - Une photo pour mes potes de facebook...
Photo 33 - Départ impeccable, sous les yeux de Sidney...
Photo 34 - Et c'est parti!
Photo 35 - Et là, je vais allumer grave vers l'Ile aux Chats...
Photo 36 - ... d'autant que c'est là-bas que nous attend le pic-nic rodriguais concocté par la maman de Bobo!
Photo 37 - Au retour, Jérôme sera content...
Photo 38 - ... il dira à Papa que je progresse super-vite!
Photo 39 - Allez, salut Tonton, et à bientôt!


Billet N°127 –Cocos (Keeling) : l’ étonnante histoire d’un atoll…

 Du Dimanche 28 Août au Samedi 03 Septembre - 

Par Olivier


L’atoll des Cocos (Keeling), ou bien plutôt les atolls, car il en existe deux en réalité, sont situés à environ 1000 km dans l’ouest-sud-ouest de l’île Christmas.

Trois jours de mer après avoir quitté l’île aux phosphates et aux crabes rouges, un nouveau jour se lève sur l’Océan Indien.

Nous avons ralenti cette nuit pour nous situer à une douzaine de milles au vent de la passe de South Cocos (Keeling) lorsque la lumière du jour inondera à nouveau la mer.

North Cocos (Keeling) est inaccessible, elle n’a pas de lagon, pas de passe, seulement une ceinture corallienne sur laquelle la mer brise violemment, rendant toute tentative de débarquement périlleuse. Il n’y existe aucun mouillage abrité, et en outre, depuis le classement de l’atoll comme Parc National australien en 1995, tout débarquement y est interdit. North Cocos (Keeling) est inhabité.

South Cocos (Keeling) en est tout le contraire. Un vaste lagon, 27 îles ou îlots, 2 grandes passes, et un excellent mouillage, très abrité des alizés, sous le vent immédiat de Direction Island, une île aujourd’hui déserte. Seul inconvénient de l’atoll de South Cocos (Keeling) : les fonds y sont rapidement très faibles dès qu’on y pénètre, et n’autorisent pas la navigation dans le lagon. Une vedette assure seulement la liaison maritime entre Home Island, à l’est, et West Island. Seules les petites embarcations à faible tirant d’eau peuvent s’aventurer loin à l’intérieur. Les voiliers de passage sont donc cantonnés au mouillage de Direction Island, malgré tout l’un des plus beaux que nous ayons connus au cours de ce tour du monde. Pour se rendre à Home Island, à 2 ou 3 milles au sud, où se trouvent les bureaux des autorités administratives, une épicerie (avec les prix les plus élevés jamais constatés pendant notre voyage - 10 $ australiens le kg de pommes) , la poste, et un service internet, il faut utiliser son annexe, et pour autant être attentif au corail, omniprésent.



Au petit jour, je cherche la ligne, un peu plus sombre sur l’horizon, des cocotiers, qui ne manquent pas aux Cocos (Keeling). J’aperçois d’abord celle de Home Island, à deux quarts bâbord, puis celle de Direction Island. Même au temps de la navigation électronique, GPS et logiciel Maxsea, voir surgir une île isolée, a fortiori un atoll, sur le vaste océan, reste pour moi une image magique, un rêve renouvelé, des moments dont je ne me lasse pas.



Situées à environ 12° de latitude sud, les Cocos (Keeling) sont soumises au régime des moussons de l’Océan Indien. Mousson de nord-ouest de Janvier à Mai, et alizés de sud-est le reste de l’année. Territoire extérieur australien depuis 1984, les Cocos (Keeling) sont tout de même éloignées de près de 2800 km de la ville de Perth, avec laquelle s’effectue la liaison aérienne hebdomadaire (qui dessert également Christmas Island). Une autre ligne, empruntée par la population d’origine asiatique, malaise principalement, et par les européens, relie le petit atoll à Singapour.

J’ai sous les yeux une carte des fonds sous-marins de cette région de l’Océan Indien. On se croirait en train de survoler les Alpes Les deux atolls des Cocos (Keeling) – cette façon de les mentionner, avec le mot Keeling entre parenthèses, est la version officielle de l’appellation internationale adoptée par les australiens en 1984 – se sont développés au sommet de deux anciens volcans, aujourd’hui submergés, qui s’élèvent de quelques 5000mètres au-dessus du niveau moyen du socle sous-marin. Ces deux montagnes sous-marines de belles dimensions, qui portent aujourd’hui les atolls de North et South Cocos (Keeling), sont reliées sous la mer par un étroit socle sous-marin de 7 à  800 mètres de profondeur. Tandis que l’atoll de North Cocos (Keeling), ceinturé par une barrière récifale périphérique ininterrompue avec seulement une petite (fausse) passe très peu profonde et qui n’existe qu’à marée haute, est constitué d’une seule île de 2 km par 1,3 km, South Cocos(Keeling), à 24 km plus au sud, est un atoll circulaire constitué de plus d’une vingtaine d’îles entourant un grand lagon (17 km par 11) qui correspond avec la mer par deux grandes passes, et un certain nombre de fausses passes (l’eau du large y pénètre seulement à marée haute, en passant par-dessus le récif). North Cocos (Keeling) a probablement eu dans le passé quelques petits îlots périphériques aujourd’hui submergés. Son altitude ne dépasse pas 5 mètres. Le petit lagon intérieur de North Cocos (Keeling), plutôt lagune que lagon, ne contient pas de coraux vivants, l’eau y est trop saumâtre, et il semble que ce quasi-marigot soit en train de se combler progressivement de sédiments, peu à peu colonisés par la végétation. A cause de son isolement, de son accès difficile, et du manque  d’eau douce, North Cocos (Keeling) n’a jamais été habitée de façon régulière. L’île n’a connu que des visites intermittentes - certaines tragiques -  la plupart d’entre elles ayan tété effectuées par des habitants de South Cocos (Keeling), des travailleurs venant y chercher du coprah, du bois, ou des œufs d’oiseaux de mer. A la fin du XIX ème siècle, des malades du béri-béri y furent un temps parqués, avant d’y mourir. Pendant la première guerre mondiale, certains membres d’équipage du croiseur léger allemand SMS Emden, mortellement touché après un combat naval, et qui refusèrent de se rendre et d’embarquer à bord du navire australien victorieux (le croiseur HMAS Sydney), furent retrouvés quelques mois plus tard à l’état de squelettes. Enfin, en 1941, on y découvrit une incroyable cache installée secrètement par les Japonais au tout début des hostilités, et renfermant un stock de combustible pour sous-marins nippons… Aujourd’hui, North Cocos (Keeling) est classé Parc National australien (Pulu Keeling National Park), et son accès est strictement réglementé par le gouvernement. Mais la meilleure protection de North Cocos (Keeling) a toujours été son isolement naturel et la difficulté d’y accéder. Aucun autre moyen pour en atteindre le rivage que de se jeter à l’eau dans les brisants et de nager par-dessus le récif…



Nous approchons de l’atoll sud des Cocos par l’est, cap sur Horsburgh Island, qui prolonge l’atoll au nord-ouest, montant la garde sous le vent de la passeprincipale. Nous laissons traîner une ligne jusque dans l’entrée du lagon, et cherchons l’alignement de deux balises qui marquent l’axe de la passe, particulièrement large, aux jumelles. Nous sommes le Dimanche 28 Août au matin, nous entrons dans le lagon de South Cocos (Keeling) par la passe nord, et nous dirigeons vers le mouillage de Port-Refuge, sous le vent de Direction Island. Un gros poisson, probablement un barracuda ou un wahoo, nous emmène notre bas de ligne avant que nous ayons pu faire quoi que ce soit. Nous affalons la toile, et nous nous faufilons entre les patates de corail vers la bouée de quarantaine jaune. La houle du large nous a quittés, les eaux turquoises du lagon sont d’une transparence incroyable, on dirait qu’il y a 2 mètres de fond là où il y en a 12. Cinq voiliers sont au mouillage de Direction Island, une île aujourd’hui inhabitée, qui semble être un petit paradis. L’ancre tombe sur du sable de corail de bonne tenue, dans 4 mètres d’eau, à 50 mètres de la plage ombragée de milliers de cocotiers, qui ont donné, là comme ailleurs (d’où la différenciation par le mot Keeling), son nom au petit archipel.

Bienvenue dans l’un des paradis des yachties !



Mais ce qui retient mon attention aux Cocos (Keeling), c’est l’histoire du petit archipel. Elle est étonnante.



Elle commence en 1609, lorsque le capitaine britannique William Keeling, de retour de Bantam, sur l’île de Java, en route vers la lointaine Angleterre, croise dans les parages et le découvre. Pour une raison inconnue, peut-être la discrétion dont il souhaite dans un premier temps entourer sa découverte, il ne mentionne pas le fait sur son journal de bord. Mais son équipage parle dans les tavernes de Londres, ce qui lui vaudra, bien plus tard, de laisser son nom, même si c’est entre parenthèses, aux lointaines petites îles seulement entrevues dans l’Océan Indien. A partir de 1622, l’existence des îles est mentionnée sur les cartes marines, d’abord sous le nom de Cocos Islands. En 1703, l’hydrographe anglais Thornton utilise le nom de Kelling Islands dans son recueil intitulé Oriental Navigation. En 1740, le capitaine suédois Ekeberg débarque à North Keeling, apparemment sans savoir que l’atoll du sud est bien plus accueillant. En 1805, un autre hydrographe anglais - dont l’ego est sans doute un peu développé - James Horsburgh, utilise pour la première fois l’appellation Cocos Keeling Islands dans son sailing directory. Pas fou, et peut-être un peu jaloux des marins découvreurs de terres nouvelles, dont l’un des principaux privilèges était de baptiser les terres qu’ils découvraient, James ne s’oublie pas : au passage, il donne son nom à l’île nord-ouest de l’atoll du sud, qui sépare les deux passes. Désormais, on ne l’oubliera plus, lui, James Horsburgh !

Ainsi, ces îles sont connues en Occident depuis le début du XVII ème siècle mais, malgré leur positionnement sur la route commerciale entre le sud de l’Afrique et l’Orient, pendant plus de 200 ans, aucune tentative de peuplement ne sera entreprise aux Cocos.

Il faut attendre 1825 pour que le destin des îles bascule.

Cette année-là, les choses se précipitent dans le lagon sud. C’est d’abord un échouement tragique sur le récif, celui du brig Mauritius, Captain Le Cour, qui oblige son équipage rescapé à vivre pendant plusieurs semaines sur Direction Island. Le Captain Driscoll, du Lonarch, fait escale dans le lagon le 24 Novembre 1825, relève que l’équipage du brig a été récupéré, et note la présence de l’épave du Mauritius. Quelques jours plus tard, le 6 Décembre, un petit navire, le Bornéo de l’armement commercial John & Joseph  Hare and Co, commandé par un certain John Clunies-Ross, écossais de son état, et natif du village de Weisdale aux îles Shetlands, jette l’ancre à Port-Refuge, sous le vent de Direction Island. Son nom - Clunies-Ross - va marquer durablement l’histoire des îles Cocos (Keeling). Il fait voile vers l’Angleterre, lui aussi, mais il a reçu des ordres de son armateur, Alexander Hare, pour étudier l’établissement d’un possible comptoir à Christmas Island, pour le compte de la maison de négoce et de transport maritime Hare. Le mauvais temps et le mouillage précaire de Christmas ont empêché ses investigations à Christmas, alors Clunies-Ross s’acquitte de sa mission  un peu plus loin, aux Cocos. Le marin écossais débarque brièvement sur les îles. Il sonde la passe principale, fait défricher deux clairières, l’une sur Horsburgh, l’autre sur Direction, y plante des céréales et des légumes. Puis il reprend la mer, et rédige son rapport à l’armateur.

L’année suivante, en Mai, Alexander Hare débarque aux Cocos avec le Hippomenes, commandé par Clunies-Ross. Il n’est pas seul, une centaine de personnes, hommes et femmes, l’accompagnent dans l’aventure. Difficile de savoir où est la vérité, mais il semble que le sieur Alexander n’ait rien, le concernant, contre la polygamie. A grande échelle. C’est du moins ce que racontera, 70 ans plus tard, un certain Joshua Slocum, un capitaine de Boston, un grand marin entré dans la légende pour d’autres raisons. Il y a aussi des animaux, des plantes, des semences, et pas mal de matériel. Alexander Hare installe son principal établissement sur Home Island, puis il établit des campements secondaires sur les autres îles. La majorité des pionniers des Cocos sont malais. Mais il y a aussi des Chinois, des Indiens, et des Papous. Quelques Africains aussi. Ils viennent de Bali, des Célèbes, de Sumbawa, de Timor, de Sumatra, de Malacca, de Penang, de Batavia.  Ils sont pour la plupart musulmans, et parlent majoritairement le malais. Pour les Cocos, une nouvelle ère commence. Joshua Slocum, le premier marin à effectuer le tour du monde à la voile en solitaire à la fin du 19ème siècle (à bord du cotre Spray, de 11,20 mètres), raconte pour sa part, après son escale aux Cocos (Keeling) en Juillet et Août 1897, qu’Alexander Hare avait débarqué sur l’atoll avec 40 femmes malaises, un véritable harem. Hare était riche, et aurait pu mener à Londres une existence faste, mais il avait été gouverneur d’une colonie britannique à Bornéo, et avait gardé le goût de cette existence pionnière, loin des codes trop policés de l’empire… Apparemment, en tous cas, il aimait la bonne compagnie.

Mais, l’année suivante, en 1827, le Capitaine John Clunies-Ross revient aux Cocos Keeling. Lui non plus n’est pas seul. Il vient avec une partie de sa famille écossaise, sa femme, sa belle-mère aussi, Mrs Dymoke, du personnel de maison, et des marins (8 solides matelots écossais). Il vient lui aussi pour s’établir dans les îles. Au début, sur South Island, Pulu Atas en malais, dont il facilite l’accès à ses embarcations en creusant un chenal dans le corail. Très vite, ses relations avec Alexander Hare se tendent. Les deux hommes sont désormais rivaux, avec, entre eux, un conflit d’intérêt. Mais les deux hommes sont très différents. Ils ne jouent pas dans la même cour. Cependant Hare occupe l’atoll, et n’entend pas laisser la place aux nouveaux arrivants.

En 1829, la population des Cocos Keeling est de 175 personnes, dont 20 européens, et 155 asiatiques et africains.

Dès 1831, la rivalité entre Alexander Hare et John Clunies-Ross tourne court. Hare se réfugie avec ses femmes sur une ravissante petite île, située au nord immédiat de Home Island, appelée depuis Prison Island. La petite île ressemble à un petit paradis. Aujourd’hui encore, bien que sa surface ait beaucoup diminué. Le chenal entre les deux îles est étroit et peu profond, et les 8 marins écossais de Clunies-Ross ont de grandes bottes. La situation de Hare est vite désespérée. Slocum raconte :



« Il  (Hare) essaya d’arranger les choses en offrant du rhum et des vivres, mais cela eût un effet contraire à celui qu’il espérait. Le lendemain, Hare, qui ne parlait plus au Capitaine (Clunies-Ross) lui envoya le billet suivant :

 « Mon cher Ross, j’espérais, en envoyant du rhum et des cochons rôtis à vos marins, qu’ils ne s’approcheraient pas davantage de mon jardin de fleurs. »

En réponse, le Capitaine, plein d’indignation, clama du centre de l’île où il se trouvait : « Oh ! là-bas, sur l’île Prison ! Hare ! Vous croyez donc que l’on fait ce que l’on veut d’un marin avec du rhum et du cochon rôti ? »

Finalement, les femmes désertèrent l’île Prison pour venir se mettre sous la protection de Ross, et Hare s’en alla à Batavia, où il trouva la mort. »



Hare quitte les Cocos. L’armateur et riche négociant s’est avéré moins habile que son ancien capitaine pour diriger les opérations de mise en exploitation de l’atoll, pour organiser la vie sociale sur les îles, et pour commander aux hommes, et aux femmes. Il a montré moins de charisme, et les difficultés financières de la compagnie Hare précipitent son départ. Hare ne remettra jamais les pieds dans l’archipel. John Clunies-Ross a les mains libres. Il récupère l’entière jouissance de l’atoll. Il va devenir rapidement le maître incontesté des Cocos, et la famille Clunies-Ross  poursuivra l’incroyable aventure de ce minuscule royaume égaré au milieu de l’océan pendant des décennies.

En 1834, John Clunies-Ross décide de s’installer sur Home Island. Il assoit définitivement son pouvoir sur les anciens préposés de son rival, et accélère la plantation systématique de cocotiers, tout en apprenant à la population asiatique à construire des bâtiments fonctionnels, et des habitations moins sommaires. Il a aussi créé un petit chantier naval, qui lance une première goélette de charge, le Harriet, en 1835. D’autres suivront. Elles assureront l’acheminement de la production des îles vers Java et Sumatra, et l’avitaillement des denrées nécessaires à la vie de la communauté insulaire. L’économie de l’atoll est centrée sur l’auto-suffisance alimentaire et la culture de la noix de coco. Noix fraîches, mais surtout coprah et huile de coco sont produits sur l’atoll pour être transportés et vendus principalement à Java.

John Clunies-Ross ne le sait pas encore, mais il va devenir le premier « roi des Cocos », et après lui, 4 de ses descendants direct de la « dynastie » Clunies-Ross…



En 1836, un scientifique qui sera bientôt connu dans le monde entier fait escale dans le lagon des Cocos. Il est jeune, ne porte pas encore la longue barbe blanche de savant qu’on lui connaîtra plus tard, mais fait déjà preuve d’un sacré don pour l’observation du milieu naturel, toutes disciplines confondues. Il est embarqué comme biologiste et naturaliste à bord d’un petit navire de Sa très gracieuse Majesté, un navire qui effectue une circumnavigation à buts scientifiques, le Beagle, Captain Robert Fitzroy.

Il s’appelle Charles Darwin (1809-1882).

Il va révolutionner la pensée scientifique de son siècle, et ce faisant se faire pas mal d’ennemis (à commencer par son ancien capitaine, issu d’une famille très croyante, pour lequel les théories de Darwin sur l’origine et l’évolution des espèces, développées à l’issue de leur circumnavigation commune, constitueront une véritable hérésie). Fitzroy et Darwin séjournent aux Cocos (Keeling) du 1er au 12 Avril 1836, avant de rejoindre l’île Maurice.  Et Darwin ne manque jamais une occasion de réfléchir à ce qu’il a sous les yeux. Or, aux Cocos (Keeling), c’est un atoll-type des mers tropicales qui s’offre à son regard. Alors le brillant esprit se met en marche. Rien ne l’arrête. Il observe, puis il réfléchit.  Comment une telle configuration géologique, qu’il a déjà rencontrée dans le Pacifique, a-t-elle pu se produire ? Le Capitaine Fitzroy et l’équipage du Beagle sortent du lagon pour aller procéder à des sondages. A seulement 2200 yards (soit 2011 mètres) du rivage de South Cocos (Keeling), la plus longue ligne de sonde du Beagle, qui mesure 7200 pieds (soit 2194 mètres), ne trouve pas le fond…  Darwin en déduit que l’atoll se trouve au sommet d’une montagne sous-marine à forte pente. Il a d’ailleurs observé précédemment la présence de fossiles coralliens à l’intérieur de certaines îles, et dans certaines montagnes insulaires. Et c’est après son séjour aux Cocos (Keeling) et son  retour en Angleterre que Darwin publiera, en 1842, son étude sur les formations des récifs coralliens. Il y développera la première théorie sur le principe de la formation des atolls coralliens des mers chaudes. Une théorie qui se révèlera juste par la suite, et qui tient toujours aujourd’hui.

Bien vu, Charlie !



« April 12 th. In the morning we stood out of the lagoon on our passage to the Isle of France. I am glad we have visited these islands: such formations surely rank high amongst  the wonderful objects of this world. Captain Fitzroy found no bottom with a line 7200 feet in length, at the distance of only 2200 yards from the shore: hence this island forms a lofty submarine mountain, with sides steeper even than those of the most abrupt volcanic cone... We feel surprise when travellers tell us of the vast dimensions of the Pyramids and other great ruins, but how utterly insignificant are the greatest of these, when compared to these mountains of stone accumulated by the agency of various minute and tender animals! This is a wonder which does not first strike the eye of the body, but, after reflection, the eye of reason.”



Charles Darwin – The Voyage of the Beagle



En gros, lorsqu’un volcan actif émerge des mers tropicales (le corail ne se développe pas dans l’eau de mer dont la température est inférieure à 19°C) sous la poussée magmatique, il crée les conditions favorables au développement d’un récif corallien  dit frangeant (fringe reef), autour de ses rivages marins. Un récif corallien se forme, qui progresse à la fois vers la surface et vers la périphérie, augmentant progressivement son épaisseur et sa largeur. Après les phases actives d’émersion et d’éruption, le volcan finit par s’éteindre et commence à s’enfoncer. Il sombre progressivement dans la mer, le socle sous-marin cédant sous l’énorme poids du cône volcanique. Bientôt, le sommet du cône émergé laisse la place à une étendue d’eau plus ou moins profonde entre les rivages de l’île subsistante et le récif frangeant d’origine. Celui-ci devient alors un récif barrière (barrier reef). Plus tard, lorsque le sommet du cône volcanique finit par être totalement submergé sous la surface de la mer, seule subsiste la barrière récifale plus ou moins circulaire qui ceinturait l’ancienne île. Un atoll est né.

Le récif corallien, selon le cas, peut porter ou non de petits îlots bas constitués de coraux et de sables, sur lesquels une végétation tropicale adaptée à un environnement très salin peut se développer. Mais certains grands récifs coralliens (dont la surface représente parfois des milliers d’hectares)  restent à fleur d’eau, les variations de niveau dus à la marée ne découvrant par endroits, et pour peu de temps, que quelques arpents de sable de corail. Ainsi, en général, les atolls bas qui n’ont plus la moindre île haute sont-ils les plus anciens, les atolls les plus jeunes présentant encore les restes subsistants du sommet de l’ancien volcan, dont le naufrage est en cours. Bien sur, l’échelle du temps géologique se compte en dizaines et centaines de milliers d’année, parfois en même en millions. Nous sommes si peu de chose…

Aux Cocos (Keeling), des sondages ont montré que le socle basaltique de l’ancien cône volcanique se situait entre 500 et 1000 mètres de profondeur sous le fond du lagon. Le volcan qui a donné naissance aux îles Cocos (Keeling) a donc sombré depuis longtemps sous la surface de l’océan. Quant au diamètre des atolls, il varie entre 1 et 160 kilomètres, mais il est compris dans la grande majorité des cas entre 5 et 30 km.

Incroyable nature…



Trois ans après son installation sur Home Island, l’entreprise économique de John Clunies-Ross aux îles Cocos (Keeling) est un succès. Il exporte des quantités toujours plus importantes de noix de coco, de coprah et d’huile de coco. Les cultures de céréales, de légumes, et de fruits sont non seulement suffisantes pour nourrir la petite communauté des Cocos, mais elles permettent également d’accroître  la prospérité de l’archipel grâce au commerce réalisé avec les équipages des navires baleiniers et phoquiers, qui font désormais escale aux Cocos pour se ravitailler, en revenant du Sud. Mais ces équipages-là ne sont pas tous constitués, tant s’en faut, de marins en instance de canonisation. Quand les marins se lâchent après une campagne de chasse, les bagarres ne sont pas loin, et il vaut mieux planquer les femmes. Par ailleurs, les capitaines baleiniers et phoquiers ne sont pas tous bons payeurs. Clunies-Ross demande l’aide des autorités britanniques de Ceylan, qui lui envoient en Décembre 1837 le Pelorus. Les problèmes sont réglés, et un code disciplinaire est établi. Les choses s’améliorent.

En 1841, le fils aîné de John Clunies-Ross, John-George, épouse une javanaise et revient vivre aux Cocos. En 1854, le pionnier de la dynastie (Ross I) meurt dans ses îles. Il a bâti en moins de 20 années un petit royaume féodal qui va rester dans sa famille pendant 150 ans !



En 1857, les Cocos sont annexées à l’empire britannique et John-George (Ross II) devient gouverneur de l’archipel pour le compte de la Couronne. Les cocoteraies n’ont jamais été aussi productives, mais un cyclone ravage les îles en 1862. John-George interromp les études de son fils aîné (il en a 7) George en Angleterre et lui demande de venir l’aider à reconstruire l’entreprise familiale. En 1871, le troisième « roi des Cocos », George Clunies-Ross, succède à son père à la mort de celui-çi. En 1878, les Cocos passent administrativement sous le contrôle du Gouverneur britannique de Ceylan, ce qui en pratique ne change pas grand-chose à la vie des habitants de ces îles perdues au milieu de l’océan. Mais en 1886, le petit-fils du capitaine écossais Clunies-Ross réussit un joli coup.

La reine Victoria en personne octroie à la famille Clunies-Ross la propriété des îles Cocos, avec des droits exclusifs, à perpétuité. Une partie des travailleurs malais de l’atoll est affectée au service de maison de la famille Clunies-Ross. Dès 1888, Ross III, George Clunies-Ross, dessine et fait bâtir une grande demeure familiale au bord de l’eau, sur Home Island : Oceania House. La famille Clunies-Ross y emménage en 1893.  Trois ans plus tard, il épouse en seconde noce Ayesha, une femme du cru. En 1897, la famille Clunies-Ross commence, dans le cadre d’un partenariat, l’exploitation des phosphates de Christmas Island.

C’est également cette année-là que le premier marin solitaire à effectuer le tour du monde à la voile, le Capitaine marchand Joshua Slocum, fait escale aux Cocos (Keeling) à bord du Spray.



Il écrira : « S’il y a un paradis sur terre, il se trouve aux Keeling.  Depuis le départ de Hare, jamais la moindre contestation ne s’est élevée aux Keeling : les Ross ont toujours traité les indigènes comme s’ils faisaient partie de leur propre famille. »



En 1901, une station télégraphique est installée sur Direction Island, tandis qu’en 1909 un cyclone tropical ravage 90% des installations et des plantations de l’atoll.  George Clunies-Ross meurt en 1910, remplacé par son fils John Sidney, alias Ross IV. L’histoire continue.



En 1914, l’atoll de North Cocos (Keeling) est le théâtre d’une bataille navale entre le croiseur léger allemand Emden et le croiseur lourd australien Sydney. Deux jours après la déclaration de guerre, l’Emden, qui avait été positionné en Extrême-Orient par le Reich, appareille de Chine. Son Capitaine, Karl von Muller, a des instructions simples : causer le plus de dommages possibles aux navires alliés, marchands et militaires, dans l’Océan Indien. Fin Octobre 1914, l’Emden a déjà à son tableau de chasse plus de 2.000.000 de livres de navires marchands et de cargaisons détruits. Il a à ses trousses quelques 70 navires de guerre alliés patrouillant dans l’Océan Indien. Dans la matinée du 9 Novembre 1914, la silhouette du croiseur allemand apparaît à proximité de South Cocos (Keeling). Von Muller envoie à terre 3 officiers et 42 marins avec mission de détruire la station radio des Cocos, sur Direction Island, qui opère pour les alliés. Pendant le déroulement de l’opération, le navire de guerre australien H.M.A.S Sydney, qui croise non loin de l’atoll, est informé par radio de la présence du bâtiment allemand, et de ses commandos. Il fait route de toute la puissance de ses machines vers North Cocos (Keeling), à proximité de laquelle l’Emden s’est positionné pendant l’opération. Le croiseur léger allemand ouvre le feu et fait mouche dès la première salve, mais il n’est pas de taille à soutenir le combat avec le croiseur lourd australien. Deux heures de combat plus tard, l’Emden est mis hors d’état de nuire. Vers midi, le Sydney l’abandonne provisoirement pour prendre en charge, à quelques milles de là, un navire marchand capturé par l’Emden, et qui lui sert d’escorte et d’avitailleur. A son retour sur les lieux du combat vers 16H00, l’Emden arbore toujours ses couleurs. Une dernière salve tirée depuis le Sydney décide Von Muller à cesser le combat. Il fait amener les couleurs. Le navire commence à sombrer, et pour sauver le maximum de membres d’équipage, le commandant allemand décide d’échouer son navire sur le récif sud de North Cocos (Keeling). Un tiers environ de l’équipage allemand a péri pendant le combat. La majorité des survivants, ceux qui auront réussi à débarquer sur l’île, sera secourue le lendemain par le Sydney. Mais certains refuseront la détention qui leur est promise et préfèreront rester sur l’atoll, persuadés qu’un avenir moins sombre les y attend. La vérité sera plus dure. Aucun ne survivra plus de quelques semaines. En Octobre 1915, moins d’un an plus tard, des travailleurs venus de Home Island ne trouveront que des squelettes, qu’ils enterreront face à l’épave qui gît sur le récif. Quant aux commandos allemands envoyés par Von Muller sur Direction Island, ils seront capturés par l’équipage du Sydney. Mais pas tous. Des fugitifs, emmenés par le Lieutenant Hellmuth von Muecke, lui échapperont. Ils s’empareront de la goélette Ayesha, appartenanr à la famille Clunies-Ross, au mouillage dans le lagon, et appareilleront à la faveur de la nuit. Six mois plus tard, certains d’entre eux réussiront à regagner l’Allemagne, au cours d’une des histoires les plus rocambolesques de la Première Guerre mondiale. Quant à l’épave de l’Emden, elle fut dépecée autant que faire se put par les insulaires des Cocos entre Octobre 1915 et Janvier 1916. Puis elle glissa progressivement vers les profondeurs sur le tombant du récif…

En 1925, John Sidney Clunies-Ross, âgé de 56 ans, épouse la jeune Rose Nash, 22 ans, à Londres. En 1940, il revient vivre dans l’atoll, laissant sa femme et ses enfants en Grande-Bretagne. En 1941, les britanniques installent des canons sur Horsburgh Island, pour protéger la station de radio des Cocos. En 1942 et 1944, les Japonais bombardent l’archipel. John Sidney meurt en 44, et les îles sont placées sous l’autorité d’un gouverneur militaire. Jusqu’à 7000 hommes des troupes du Commonwealth sont stationnés sur West Island à partir de 1944. Ils y construisent un aéroport militaire (dont la piste sera utilisée par Qantas à partir de 1951). L’archipel n’a jamais été aussi peuplé : près de 10 000 personnes ! En 1946, Rose, veuve de John Sidney, revient vivre aux Cocos avec ses enfants. Son aîné, John Cecil Clunies-Ross, Ross V, prend, à 18 ans, la succession de son père. A partir de 1952, la compagnie aérienne Qantas ouvre une ligne régulière vers l’Afrique du Sud avec escale aux Cocos, tandis que la jeune reine Elizabeth visite l’atoll en 1954.

Sans doute pas par hasard puisque l’année suivante, en 1955, l’archipel des Cocos (Keeling) est officiellement détaché de la colonie britannique de Singapour pour passer sous contrôle australien.

En 1968, le cyclone Doreen dévaste à nouveau les îles, ce qui incite John Cecil Clunies-Ross à séjourner en Australie et à se rapprocher du gouvernement aussie.

C’est finalement en 1978, à la suite de plusieurs missions d’enquête, que le gouvernement australien  négocie l’achat des îles Cocos avec le dernier représentant de la dynastie, John Cecil Clunies-Ross. La transaction s’effectue au prix de 6.250.000 $, la famille Clunies-Ross conservant Oceania House et quelques arpents de terre sur Home Island.

Dès l’année suivante, une assemblée insulaire est créée, dont les relations avec les derniers représentants de la dynastie Ross vont vite se dégrader. En 1983, le gouvernement australien invite John Cecil et sa famille à quitter les Cocos. Ils ne s’exécuteront qu’en 1986, après la faillite de leur compagnie de navigation et le rachat d’Oceania House par le gouvernement australien. Dès 1984, les insulaires votent à une très large majorité l’intégration politique, sociale et économique de l’archipel dans l’Etat australien. En 1993, le Cocos (Keeling) Shire Council (l’assemblée insulaire) vote la location de North Cocos (Keeling) au gouvernement australien pour la création d’un Parc National, qui sera officiellement ouvert en 1995 sous le nom de Pulu Keeling National Park.

Aujourd’hui, les descendants directs du Capitaine John Clunies-Ross vivent, simplement, à Perth, sur la côte ouest australienne. Sauf John George, le fils de John Cecil, qui vit toujours aux Cocos, sur West Island. Il y tient une modeste épicerie…



Ainsi la famille Clunies-Ross fut l’unique propriétaire des îles Cocos (Keeling) de 1886 à 1978. Mais l’emprise de la petite dynastie écossaise sur ces arpents de corail, de sable blanc  et de cocotiers, perdus au milieu de l’Océan Indien, aura duré 150 ans !

Quelle histoire !

Ca m’aurait plu de boire le thé, à l’ombre des palmes, avec John Clunies-Ross, le capitaine, le pionnier. Ce devait être un sacré bonhomme.



Depuis le rattachement à l’Australie en 1984, c’est le Shire Council et la coopérative des travailleurs insulaires qui gèrent les rares activités de production de l’île. L’intégration de l’archipel dans l’Etat australien a permis à la petite communauté des îliens de rattraper le retard accumulé en matière d’équipements publics et d’éducation. Les résidents des Cocos sont aujourd’hui citoyens australiens. La population de l’archipel est d’environ 650 personnes, dont 70% de malais, 18% d’australiens et 12% de britanniques. Ces deux derniers groupes vivent majoritairement sur West Island, aux environs de l’aéroport, tandis que les malais résident essentiellement sur Home Island, dans le Kampong (village, en malais). Les premiers sont chrétiens anglicans principalement, les seconds musulmans. Aucune des deux communautés ne semble harassée par le travail…



Les îles Cocos (Keeling) vivent aujourd’hui au ralenti, dans l’ombre de la puissante et riche Australie.



Le malais qui vient visiter Jangada au mouillage de Direction Island pour les formalités d’arrivée vient du Kampong de Home Island avec un énorme pneumatique semi-rigide puissamment motorisé. Une femme voilée l’accompagne. L’homme est affable, sympathique ; il porte un gilet des douanes australiennes et une casquette de la police fédérale. Il nous souhaite la bienvenue dans ses îles, nous donne des informations utiles pour notre séjour, expédie les papiers et retourne aussi vite qu’il était venu vers Home Island.

Cinq ou six petits requins « black tips » sont venus rôder autour des coques de Jangada dès notre arrivée. Par simple curiosité, ils sont venus voir qui était ce nouvel arrivant. Puis se sont dispersés deux ou trois heures plus tard. L’eau a beau être particulièrement limpide et avenante, la présence des squales atténue nos ardeurs, bien que dans la majorité des cas, ils soient totalement inoffensifs pour l’homme. Nous gagnons la plage immaculée ombragée de centaines de cocotiers et y prenons un premier bain. Direction Island est aujourd’hui inhabitée et elle est dédiée aux équipages de voiliers en escale. Un hamac double, un vieux fauteuil de bois, quelques tables, un petit plongeoir. Nous  nous laissons dériver dans le rip, une fausse passe qui communique à marée haute avec la mer à l’est du lagon. Le courant qui passe par-dessus le récif barrière nous entraîne rapidement au-dessus d’une faille corallienne profonde d’une quinzaine de mètres où abondent les poissons. A travers nos masques, nous voyons de grosses carangues, des mérous, et des requins de récif qui somnolent, immobiles, posés au fond sur le sable, la tête sous un rocher. Nous passons avec discrétion au-dessus d’eux, pour ne pas les réveiller, puis regagnons les eaux calmes du lagon, en bordure de la faille. Sous l’eau subsistent les restes d’un slipway, qui devait servir à sortir les bateaux pour les caréner sur la plage de Direction Island. Il ne subsiste plus rien des installations de l’ancienne station de radio des îles Cocos, sinon un simple panneau marqué « Cable Station ».

Nous décidons d’aller pêcher dans la passe, à la traîne, avec l’annexe, histoire de faire un BBQ sur la plage avec l’équipage de Small Nest. Marin et moi mettons une ligne à main à l’eau dans l’axe derrière, et les deux lignes montées sur rods latéralement. L’annexe apparaît bien petite dans la houle de la passe. Nous attrapons 2 barracudas, mais les remonter dans l’annexe s’avère compliqué. Les poissons emmêlent les lignes, un leurre se prend dans le corail, le moteur se fait rincer et cale, mais on finit par s’en sortir : c'est-à-dire par avoir les doigts de nos pieds nus à proximité immédiate des dents acérées des barracudas qui se débattent dans l’annexe ! Un pur bonheur. Je joue de mon gourdin de teck pour calmer définitivement ces charmantes bestioles (un spectacle pas super-cool), avant qu’elles ne percent les flotteurs ou ne nous sectionnent une phalange. On arrête les frais, mais la mission est réussie. Le lendemain, les deux équipages sont réunis sous les cocotiers de Direction Island pour un barbecue de barracudas en papillotes cuits à la bourre de noix de cocos.

Certains arbres environnants portent la marque des voiliers qui sont passés avant nous aux Cocos, dessinée, peinte ou gravée sur de petites plaques de bois accrochées aux troncs des cocotiers. Je suggère aux enfants de laisser un souvenir de l’escale de Jangada, et ils se précipitent sur cette idée. Je leur trouve une plaque de contre-plaqué découpée en forme de cercle, et, suivant l’idée qu’ont eu avant eux d’autres marins, les voilà partis sur la côte au vent de Direction Island, pour y récolter une denrée moderne qui y abonde : des tongues en plastique de toutes les couleurs, n’allant jamais par paire, à la flottabilité éprouvée, que la mer et le vent ont emmenées de lointaines plages d’Indonésie ou d’Australie, jusqu’à leur échouement sur le corail des Cocos. Un matériau indestructible et bon marché, dont l’abondance sur les récifs devrait faire réfléchir nos congénères quant à la capacité de l’espèce humaine à altérer les milieux naturels les plus sauvages de la planète.



Adélie et Marin choisissent les couleurs les plus fluos, et les voilà revenus au campement de Port-Refuge avec une brassée de tongues labellisées haute mer. Le travail de découpe commence, chaque membre d’équipage sera représenté, puis vient le collage. Quand l’oeuvre est terminée, j’y perce deux trous à la perceuse portable, et fixe le tableau dans un tronc de cocotier avec deux vis inox.

Combien de temps durera la trace  laissée de notre escale aux îles Cocos ?

Olivier
Photo 1 - Nos ados en mer, entre Christmas et Cocos (Keeling).
Photo 2 - Pêche d'une daurade coryphène à la ligne de traîne.
Photo 3 - Le rituel du film de fin d'après-midi, en mer.


Photo 4 - Marin cherche à apercevoir l'atoll des Cocos, depuis les barres de flèche.
Photo 5 - North Cocos (Keeling), inhospitalière, aujourd'hui Parc National australien.
Photo 6 - Jangada au mouillage idyllique de Direction Island, aux Cocos.
Photo 7 - La plage immaculée de Direction se partage avec ... les bernard- l'ermites.
Photo 8 - Entre Direction et Home Islands, un petit îlot...
Photo 9 - ...qui ressemble au paradis. C'est Prison Island, le dernier refuge d'Alexander Hare et de ses nombreuses femmes!
Photo 10 - Chantier naval à Home island.
Photo 11 - Le Kampong (village malais, en  version australienne) sur Home Island.

Photo 12 - Logements malais d'aujourd'hui à Home Island.
Photo 13 - La vie s'écoule paisiblement à Home Island.
Photo 14 - Après le ramadan...

Photo 15 - ...les régates locales...
Photo 16 - ... dans le lagon des Cocos.
Photo 17 - La garde rapprochée du Capitaine, aux iles Cocos.
Photo 18 - Drôle de collecte sur le récif au vent de Direction Island!
Photo 19 - Pas de risque d'endémie pour cette espèce-là (les tongues de haute mer) elle abonde, hélas, partout sous les tropiques!
Photo 20 - L'oeuvre des enfants aux Cocos est terminée.
Photo 21 - Vernissage de l'exposition, sous les cocotiers.
Photo 22 - Et ouverture de la galerie, en plein air.
Photo 23 - Adélie aux Cocos (Keeling), bientôt teenager!