Distance à l’arrivée : 1451 milles/Distance au départ: 534 milles Distance journalière parcourue vers Rodrigues : 179 milles
Hommage à l’ancien…
Le vent qui souffle fort (35 à 40 nœuds) à quelques 80 milles au sud de notre position nous envoie une brise musclée de 25 à 28 nœuds qui a pris une bonne composante sud depuis le milieu de la nuit. La mer s’est vite reformée, et les vagues nous arrivent maintenant par le travers, comme le vent apparent. Avec seulement la moitié du solent et toujours un ris dans la grand-voile, le bateau a accéléré, et progresse depuis ce matin entre 8, 5 et 10 nœuds sur la route directe. Je ne suis pas mécontent d’avoir choisi de partir à droite de la loxodromie pour mettre une trentaine de milles de plus entre le voilier et la zone de vent fort. Ca adoucit un peu les mœurs !
Bien qu’ils restent tout de même un peu rudes pour Barbara, qui est atteinte par un mal de mer latent. Elle n’a pas très bien dormi, et passe la journée allongée dans le carré, à bouquiner, somnoler, bouquiner, et … somnoler. Mais les blagues fusent, et le moral reste bon. Le pont est copieusement rincé par les paquets de mer, et ce matin, c’était l’hécatombe question flying fishes : une trentaine de cadavres sur le pont. Obligé de chausser un gant (les poissons-volants ont une odeur très forte au toucher) pour faire la tournée de rejet à la mer des victimes de la nuit et de lavage à l’eau de mer sous pression. Il y avait des écailles et des traces sanguinolentes jusque sur les bandes anti-UV du solent !
Pourtant, quand on y pense, cet océan est si vaste, il y a tout de même une sacrée place à côté pour les poisssons! Mais non, ceux-là se trouvent sur la route de nos étraves, au mauvais moment.
J’ai réussi à capter la station Sailmail de Brunei vers 01H00 du matin sur la bande des 8 MHz, et ai reçu les messages envoyés sur FNRL.
A ce sujet, savez-vous que nous avons dans le fan-club du voyage autour du monde de Jangada un homme précieux, dont la fidélité nous accompagne depuis des mois, sans faille. Je voudrais lui rendre hommage, car il le mérite vraiment. Il s’appelle Pierre, il n’a que 82 ans, et l’humour vissé au corps, quelles que soient les circonstances. Nous ne l’avons jamais rencontré, mais cela viendra c’est sûr, peut-être sur le quai le jour de notre retour à La Rochelle, ou bien nous irons le voir chez lui, à Gap, à la première occasion. Pierre est le papa de notre ami rochelaise Geneviève, qui s’occupe avec une dévotion qui lui vaudra probablement la béatification, de toutes nos paperasses, lesquelles savent vous poursuivre à l’autre bout du monde, même si vous tentez de les fuir. Pour la petite histoire, Barbara avait l’habitude, à La Rochelle, avant notre départ, de passer un petit coup de fil à son amie Geneviève, à l’heure du déjeuner, pour lui demander son score au Jeu des 1000 euros, la célèbre émission de France-Inter. Après notre départ, Geneviève en a parlé à son père, lui aussi un fidèle auditeur du Jeu. Et Pierre l’ancien a commencé, pour pallier à notre privation journalière, à retranscrire et à nous envoyer, jour après jour, par message e-mail reçu à bord par le poste émetteur-récepteur radio longue distance, le Jeu des 1000 euros. Le titre est invariable. Cela dure depuis des mois, pour notre plus grand bonheur. Au moment propice de la journée, à tour de rôle, nous ouvrons le fameux message de Pierre, et le carré de Jangada résonne des questions et des tentatives de réponses de l’équipage. Mais Pierre ne s’arrête pas là. L’été, quand le jeu s’interromps sur les ondes, Pierre le recrée pour nous, en puisant dans son inépuisable réserve culturelle. Le message est alors titré « Jeu estival N° tant ».
Récemment, Pierre nous a étonnés par sa fidélité à toute épreuve.
Mi-Août, il a perdu son épouse, nonagénaire, après 60 années de cordée.
L’envoi des messages n’a cessé que quelques petits jours. Nous n’en demandions pas tant.
Cette nuit, nous avions deux messages de Pierre : les derniers « Jeux estivaux » dans le premier, le premier « Jeu des 1000 euros » de la rentrée dans l’autre.
Tout ça au beau milieu de l’Océan Indien… Merci à vous, Pierre ! Et longue vie ! Et à bientôt, bien sûr.
A demain, si vous le voulez bien !
Olivier