Distance à l’arrivée : 1630 milles/Distance au départ: 355 milles Distance journalière parcourue vers Rodrigues : 168 milles
Une nuit plus calme que la précédente, avec seulement un grain vers 23H15, qui m’a fait prendre mon quart un peu plus tôt que prévu. Une accélération du vent jusqu’à 27/28 nœuds, pour laquelle on s’est contenté d’abattre, sans toucher à la voilure, faisant le pari d’un passage rapide et pas trop musclé, qui s’est révélé juste. La trilogie du grain tropical classique a été respectée : après l’accélération du vent (un quart d’heure environ), la pluie arrive, dense, intense. Ce qui calme un peu le vent, le stabilise, le régularise. Le plus dur est alors passé. Une dizaine de minutes plus tard, le vent tourne d’une vingtaine de degrés et mollit, la pluie cesse progressivement alors qu’elle a commencé brutalement. Les voiles manquent alors d’appui, claquent au vent trop faible, ébranlent les espars et le haubannage, faisant vibrer tout le bateau. C’est le moment que j’aime le moins, celui qui sollicite le matériel, alors que le bateau n’avance que lentement. Et puis, en quelques dizaines de minutes, 2 ou 3 généralement, le vent reprend et sa force et sa direction initiales. Le bateau re-accélère, les voiles portent à nouveau, le grain est passé… Nous avons pris l’habitude, au large, avec notre grand-voile à corne qui fait travailler la tête de mât (et avec elle la drisse mouflée et le chariot de têtière), de naviguer arisé au premier reef. On perd bien sûr de la surface de toile, mais la têtière de grand-voile se trouve alors positionnée exactement au niveau du capelage des haubans et de l’étai sur le mât, une zone particulièrement bien tenue, qui rassure le skipper lorsqu’il y a 4000 km d’océan sans âme qui vive à parcourir avec des milliers de mouvements du bateau à la clef.
Les « quarts » à bord de Jangada sont d’une simplicité extrême au large.
D’abord, le système de pilotage automatique est extrêmement bien installé, et donc très fiable (je touche immédiatement le bois d’acajou de la table à cartes pour que ça continue !). Sans compter que nous avons un vérin hydraulique en secours à bâbord, prêt à fonctionner, mais que je n’ai jamais eu à utiliser une seule fois, le vérin électrique travaille dans d’excellentes conditions, bien au sec à l’intérieur du bateau, dans le coqueron arrière tribord, derrière la salle des machines. Une installation de grande qualité, qui fait que nous ne barrons jamais au large. La navigation étant aujourd’hui électronique, le travail du quart se réduit aux rares manœuvres de voiles et autres réglages, et à la veille anti-collision. Inutile de vous dire qu’il n’y a pas grand monde dans le quartier, et que j’estime que nous avons davantage de chance, dans les parages, de percuter un cétacé qu’un autre bateau !
Tout ça pour dire que nous sommes toujours un peu embêtés pour répondre à la question de l’organisation des quarts à bord de Jangada. La vérité, c’est qu’il n’y en a pas. De jour, tout le monde est debout. La surveillance est naturelle. Nous nous arrangeons pour dîner à la nuit tombante, ça économise l’énergie électrique. Ensuite, je règle tout pour la nuit, la charge des batteries, les voiles, le cap, le pilote, j’allume le feu flash de tête de mât, et je renifle l’océan. Adélie va se coucher à tribord, Marin s’installe pour sa nuit dans le carré à bâbord, et je vais m’allonger en bas, dans la cabine double bâbord.
Barbara s’installe à tribord dans le carré, et son quart court jusqu’à minuit. Elle lit allongée à la lueur d’une lampe frontale, fait des mouvements de gym, puis s’endort en mettant le minuteur de cuisine toutes les 30 minutes pour un tour d’horizon rapide. En général je ne dors que 2 ou 3 heures dans la soirée, puis remplace Barbara à minuit jusqu’au jour, en dormant le plus possible selon les circonstances.
Quand il faut manœuvrer à deux, je réveille Marin pour quelques minutes, et puis il se rendort. Sa croissance n’en a pas l’air perturbée. En mer au large, l’arrivée progressive du jour est toujours la bienvenue.
Ouahhh ! Là, j’ai du lâcher précipitamment mon clavier pour aller remonter avec Marin une petite daurade coryphène de 3 ou 4 kg. Elle a d’abord lutté pour résister, puis, tractée à plus de 7 nœuds par le bateau, elle est vite remontée à la surface et s’est mise à glisser sur l’eau, avec son corps plutôt plat, sur des centaines de mètres, le temps que nous enroulions les quelques 200 mètres de fil sur le moulinet… Ca nous a évité de manœuvrer, de stopper le bateau toutes voiles dehors en venant près du vent. Elle nous fera deux succulents repas, cuisinée en papillote au four. Mais j’ai les mains qui sentent le poisson !
Splendide journée de ciel bleu aujourd’hui, vent 18/20 nœuds, mer plus agréable.
A demain !
Olivier