dimanche 11 mars 2012

Billet N°152 - A Etosha National Park, Namibie, une rencontre exceptionnelle avec les lions…

Lundi 6 et Mardi 7 Février 2012 Par Olivier

Avant de redescendre vers Walvis Bay et les brumes de la côte namibienne,  où nous avons laissé Jangada en sécurité sur un coffre, nous poursuivons notre deuxième voyage à l’intérieur de la Namibie par deux journées passées dans l’Etosha National Park, la grande réserve animalière du nord de la Namibie, créée en 1907, l’un des parcs les plus étendus d’Afrique (23 000 km2), non loin du Botswana et de la célèbre région du delta de l’Okavango.

On y trouve à peu près tous les grands animaux d’Afrique, mais après notre séjour, quelques semaines plus tôt, dans la réserve de Hluhluwe-Imfolozi, en Afrique du Sud, une vision nous avait échappé : celle des fauves, des lions en particulier, qui étaient restés cachés à nos yeux.



Nous voulions essayer d’en apercevoir à Etosha, qui en dénombre environ 300. Le parc compte plusieurs dizaines de milliers d’antilopes, toutes espèces confondues, dont près de 2000 élands (avec un d, contrairement à son homologue du nord), 7000 oryx (j’ai un faible pour cet animal, aussi appelé gemsbok, que je trouve particulièrement élégant, toujours très esthétique, mais aussi très prudent et difficile à apercevoir de près) ou encore 4000 koudous. Certaines espèces, comme les impalas ou les springboks, comptent dans cette réserve d’innombrables individus (plusieurs dizaines de milliers). Plus de 3000 girafes, 2500 éléphants, 18 000 zèbres, 400 rhinocéros noirs, une centaine de guépards, un millier de hyènes, et un nombre inconnu de léopards, particulièrement redoutables (j’ai pu voir dans un magazine sud-africain quelques images incroyables d’un puissant léopard mâle attaquant à la gorge dans peu d’eau un crocodile de bonne taille, parvenant à l’entraîner hors de son élément naturel en évitant les morsures, à le retourner sur le dos et à le maintenir dans cette position jusqu’à ce que l’hémorragie fasse son œuvre irrémédiable)  mais tout aussi doués pour ne pas se montrer.

La meilleure période de l’année pour voir les animaux dans une réserve de l’Afrique australe est la saison sèche, de Juin à Novembre, et mieux encore Août et Septembre, lorsque les animaux sont contraints de quitter les profondeurs du bush  pour venir s’abreuver aux seuls points d’eau permanents. En Février, nous sommes en pleine saison des pluies (Décembre à Mai), ce n’est pas l’idéal. Mais la saison des pluies en Namibie, ce n’est pas exactement le déluge. La pluviométrie reste faible. Les points d’eau alimentés par les pluies orageuses sont nombreux dans le parc, et les animaux n’ont alors aucune raison particulière de se montrer au bord des pistes. Il faut donc au visiteur, tenu bien sûr de rester en permanence à l’intérieur de son véhicule, un peu de chance. Mais nous n’en manquerons pas.



La particularité d’Etosha est que le parc présente en son centre une immense dépression (130 km par 70), l’Etosha Pan, qui est un lac (peu profond, quelques dizaines de centimètres) en saison des pluies, et une immense étendue de boue desséchée et craquelée en saison sèche, au-dessus de laquelle apparaisse alors des mirages et des tourbillons de poussière blanche.



Nous entrons dans le parc par l’Anderson Gate, au sud d’Okaukeujo, la porte sud du parc. L’ouest d’Etosha, fermé au public, est réservé aux scientifiques animaliers. Et nous allons parcourir le parc d’ouest en est, ce qui s’avérera une bonne idée, car toutes les relations de visite d’Etosha que j’ai pu lire sur Internet avant notre visite concordent sur le fait qu’on voit davantage d’animaux dans l’est du parc, du côté de l’ancien fort allemand de Namutoni. Autre raison supplémentaire, il semble que plusieurs familles de lions affectionnent la rive sud de Fisher’s Pan, une petite extension d’Etosha Pan à l’extrémité orientale du lac. Une petite piste fait le tour de Fisher’s Pan. J’ai enregistré cette information et compte bien l’exploiter.



Le premier jour, nous sillonnons le parc, et apercevons la plupart des grands animaux de la réserve. Mais les fauves, cependant, restent invisibles. Un orage violent nous tombe dessus avant que nous arrivions à Halali, un campement où nous avons décidé de passer la nuit. Les pistes sont détrempées, les animaux ont disparu pour s’abriter dans l’épaisseur du bush, les éclairs strient le ciel noir d’encre, le tonnerre gronde avec une puissance inouïe, la foudre s’abat toutes les 30 secondes à quelques kilomètres, puis à quelques centaines de mètres de nous. Le 4 x 4 surnage dans la boue, mais je suis un peu inquiet, je préfèrerais que nous soyons moins exposés à la violence de cet orage, comme seule l’Afrique sait en produire. La foudre surtout m’inquiète. Elle s’abat sur le parc avec une fréquence incroyable. J’ai eu, une fois, il y a une vingtaine d’années, en Italie, l’occasion, dont je me serais bien passé, d’être foudroyé à bord d’un voilier d’une trentaine de mètres que nous avions construit à Rochefort. Plus exactement, la foudre s’était abattue sur le mât du bateau,  alors que je tentais de prendre les prévisions météorologiques avec l’émetteur-récepteur BLU du bord. Ce qui n’était pas une bonne idée. J’avais été littéralement jeté au sol, pratiquement assommé, et j’avais eu du mal à me relever au milieu d’une épaisse fumée malodorante d’électronique carbonisée.

Alors que je suis au volant de notre Toyota, dans le parc d’Etosha, ce souvenir me revient en mémoire, et la violence de cet orage ranime chez moi une sourde anxiété pour les miens et moi-même.  Au milieu de l’après-midi, il fait pratiquement nuit. Nous nous efforçons de rejoindre Halali sous des trombes d’eau, pour nous mettre à l’abri sous un toit. L’orage finira par s’éloigner progressivement, laissant le campement détrempé, envahi de profondes flaques boueuses.

Pour loger ma petite famille en perdition à la tombée de la nuit, je collerai le Toyota à un petit bâtiment ouvert sur un seul côté, où nous déchargerons tout notre équipement de camping, ferons cuire une énorme plâtrée de nouilles (pour changer…) et passerons la soirée à peu près au sec, sains et saufs…



L’objectif majeur de notre deuxième journée à Etosha, partagé par tout l’équipage, sera de voir des lions. Nous crions dans la savane : ON VEUT VOIR DES LIONS !

Nous ne le savons pas encore, mais ce jour-là nous allons avoir de la chance.

Au-delà de nos espérances !



En début d’après-midi cependant, nous sommes au fort de Namutomi, à quelques kilomètres seulement de la sortie est du parc. Et nous n’avons toujours pas vu de lions. Pendant le pique-nique à l’intérieur de l’enceinte du fort, j’avise un petit groupe de rangers namibiens, et décide d’aller solliciter leurs conseils. Il en ressort que le meilleur plan consiste à prendre la petite piste qui fait le tour de Fisher’s Pan, de rouler doucement, et de bien regarder. Les lions sont souvent vus du côté de Twee Palms., à une dizaine de km du fort, m’ont-ils dit.

Nous croisons de nombreuses antilopes, des gnous, des oryx, mais aucun ne paraît très inquiet. Visiblement, ils ne sont pas menacés. C’est l’heure de la sieste des fauves…



Soudain, à environ 8km du fort, nous découvrons une masse  relativement informe couleur savane juste en bordure de piste, sous de petits arbustes. Marin est le premier à l’apercevoir. Je suis ravi quand mes enfants sont les premiers à apercevoir quelque chose que je n’ai pas vu moi-même, ce qui est rare, honnêtement. J’ai l’impression dans ce cas que je leur ai appris quelque chose ! J’aimerais leur léguer entre autres le sens de l’observation. Le goût aussi de la vie sauvage, et des vastes espaces naturels, où les lois inventées par l’homme n’ont pas cours. Je stoppe notre véhicule, passe la première, et redémarre doucement. Nous approchons lentement avec notre 4 x 4, lorsqu’un mâle adulte, doté d’une belle crinière, relève la tête et nous fixe de son regard intense. Il n’a pas l’air inquiet, ni nerveux. Il a remarqué notre approche, nous tient à l’œil, mais ne montre aucun signe d’anxiété. Nous stoppons à une petite dizaine de mètres, le fauve s’étend à nouveau de tout son long, et reprend sa sieste à peine interrompue. Les lions, inactifs pendant une vingtaine d’heures par jour, pratiquent la sieste pendant 10 à 15 heures chaque jour ! Une vie de nabab en apparence. Mais la réalité est moins rose, surtout pour les mâles. Nous identifions progressivement la famille. Il y a là 5 lions, agglutinés dans moins de 15 m2 : le mâle adulte dont tout, dans le comportement, y compris celui des autres membres de la tribu, nous indiquera qu’il est le maître absolu de la famille. Nous l’appelons Albert. La lionne, Victoria, sa compagne, est un bel animal très serein, et visiblement très attachée affectivement à son lion. Et trois enfants : 2 jeunes mâles de probablement 2 ans, Andrew et Jack, déjà quasi adultes, impressionnants de force et de santé, et certainement les plus dangereux, et une jeune femelle, a priori d’un an, sensiblement plus petite et visiblement moins expérimentée que ses frères. Nous la  baptisons Cherry.



Et toute la famille, à cette heure chaude de début d’après-midi, somnole en haletant d’un rythme rapide à l’ombre de ces arbustes. Les pattes musclées s’entrecroisent, les queues se chevauchent, le clan apparaît très soudé. A part le halètement rapide, pas un bruit, très peu de gestes. Quand l’un des individus se lève pour se déplacer légèrement, il le fait sans bruit.

Je comprendrai, mais seulement une heure plus tard, que cette sieste discrète du clan fait partie du stratagème de chasse qui va suivre, mais que nous ignorons encore.

Une fois les animaux habitués à notre présence, nous baissons les vitres, pour mieux observer le spectacle impressionnant de ces fauves en liberté dans leur milieu naturel, à seulement quelques mètres de nous. Lorsque, après avoir hésité, je redémarre le diesel du Toyota pour approcher encore un peu plus, avec des gestes très lents, le chef du clan sursaute légèrement, dresse ses oreilles, me regarde de son regard de fauve sûr de lui, et puis immédiatement, il se calme et se détourne. A l’évidence, il a enregistré cette nouvelle situation, mais elle ne l’inquiète pas, il reste serein. Il en serait certainement tout autrement si je descendais de la voiture, un geste qui, chez les animaux, change complètement la donne. Mais là, la voiture est un anesthésiant puissant de l’instinct de protection des fauves.



Nous observons longuement cette scène rare, et faisons même faire un demi-tour au véhicule, pour que Barbara et Marin, assis côté gauche, puissent à leur tour observer les animaux de très près. La manœuvre ne dérangera nullement les fauves. Je stoppe à nouveau le moteur, les lions sont à 4 mètres de nous. Au fil des dizaines de minutes qui s’écoulent ainsi, nous percevons cependant que la fin de la sieste approche. Les deux adultes s’agitent davantage, ils se déplacent un peu, sans se montrer pour autant à découvert, et somnolent de moins en moins. Nous pressentons qu’ils vont se lever et partir, mais ils prennent leur temps…



Nous avons assisté à un bien beau spectacle pendant une heure environ, alors après avoir hésité à quitter les lieux, nous décidons de faire le tour de Fisher’s Pan par la petite piste, une trentaine de kilomètres, puis de revenir sur les lieux de notre rencontre pour voir si les lions sont toujours là. Nous ne verrons pas d’autres lions autour de Fisher’s Pan, alors je traverse rapidement la petite lagune pour rejoindre le fort, puis nous reprenons la piste vers Twee Palms. Lorsque nous arrivons sur les lieux, un spectacle exceptionnel nous attend.



Nous approchons lentement et très vite nous nous apercevons que les lions n’ont bougé que d’une quinzaine de mètres. Mais la situation, elle, a complètement changé.

Les fauves viennent de tuer une antilope de bonne taille, dont nous aurons du mal à reconnaître l’espèce, car la proie a été amenée au milieu des branchages, sans doute à l’abri des convoitises. Peut-être un nyala femelle ? Et ils se montrent très occupés, car l’affaire, à savoir dévorer la viande sanguinolente et chaude (5 à 7 kg par jour) d’un animal qui vient d’être attaqué et mis à mort n’est pas, tant s’en faut, chose aisée. Je croyais cela plus facile, mais la scène à laquelle nous assistons à 4 ou 5 mètres seulement, me montrera que même pour les lions  c’est toute une histoire. A certains moments de notre observation, j’avais envie de leur proposer l’idée d’utiliser une fourchette et un couteau de boucher, tant je les voyais peiner à ouvrir toujours un peu plus le ventre de l’antilope (en commençant par le bas ventre), à tenter d’écarter la peau recouverte de poils pour pouvoir plonger leurs mâchoires puissantes dans la viande rouge encore animée de soubresauts nerveux, à l’odeur écoeurante, sans se mettre de la tripaille malodorante sur les babines et encore moins absorber des touffes de poils, ce dont ils semblent avoir horreur.



Nous venons de comprendre que les fauves que nous avons laissés à leur sieste finissante tout à l’heure, il y a moins d’une heure, se préparaient en réalité pour la chasse, qui a lieu en moyenne tous les 2 jours. Il me semble que le fait d’avoir somnolé discrètement à l’ombre des arbustes en bord de piste, allongés dans les herbes hautes,  a dissimulé les lions aux yeux mais aussi à l’odorat des antilopes qui se sont progressivement rapprochés de l’aire de repos.

J’imagine que c’est la lionne, Victoria, dont c’est le job, la plus expérimentée à la chasse (car la plus rapide et la plus svelte -150 kg environ -, contrairement au mâle, trop lourd – jusqu’à 250 kg - et moins rapide) qui a observé pendant de longues minutes à travers les branchages puis identifié la proie la plus intéressante pour le clan, avec à ses côtés les deux jeunes lions, Andrew et Jack, au moins aussi puissants qu’elle mais moins expérimentés. Au signal de la mère, la charge a du être foudroyante, car les lions ne courent rapidement que sur une petite centaine de mètres. Ils tentent d’approcher leur proie jusqu’à une trentaine de mètres, puis déclenchent brutalement la charge. C’est en général la lionne qui saisit l’antilope à la gorge, souvent en sautant sur son dos pour éviter les cornes quand il y en a, tout en s’efforçant de la faire tomber. Nul doute que la chasse a été extrêmement brutale et rapide, et qu’elle s’est déroulée à proximité immédiate du lieu de la sieste. Car les lions n’ont pas pour habitude de traîner l’animal qu’ils viennent de tuer sur des dizaines de mètres, du fait de son poids.



Après cette séquence d’observation exceptionnelle pour nous dans le Parc National d’Etosha, nous regarderons à nouveau le documentaire video du National Geographic sur les lions que nous avons à bord, et je m’intéresserai pendant quelques jours à la question pour avoir quelques informations complémentaires. J’apprendrai ainsi pas mal de choses, dont la conduite à tenir en cas de charge d’un lion (pas utilisée tous les jours): ne jamais tenter de fuir (ce qui encourage le fauve à attaquer), faire face sans bouger à la charge, en adoptant une attitude menaçante vis à vis de l’animal, en évitant de donner le moindre signe d’inquiétude, lequel serait vite analysé par le fauve. Certainement plus facile à dire qu’à faire. Le lion rugit et charge, mais s’arrête net à quelques mètres de l’homme qui fait face, dans un nuage de poussière : les images du NG sont impressionnantes. Hélas, le cas des réfugiés africains venus du nord et de l’est et qui tentent d’entrer en Afrique du Sud par le Parc National Kruger est assez différent. Non armés, non informés, ils deviennent une proie facile pour les lions, qui de plus prennent l’habitude de cette chasse 100% positive…

Un élément intéressant, qui montre que la vie des lions mâles n’est pas une sinécure en milieu naturel, réside dans l’espérance de vie : seulement 7 à 12 ans pour le mâle dans la savane, contre plus de 30 en captivité. La femelle, beaucoup moins exposée (sauf au moment de l’action de chasse) vit souvent entre 15 et 20 ans. Le job du mâle dominant (tel qu’Albert) d’un groupe familial n’est donc pas de chasser, mais d’assurer la protection du groupe en empêchant les intrusions étrangères sur le territoire de la tribu. D’un bout à l’autre de notre double observation, Albert, effectivement, ne nous quittera jamais des yeux. Et nous noterons que son comportement sera beaucoup moins serein à notre égard après la chasse qu’auparavant, pendant la sieste de la tribu. Pendant que les trois jeunes seront occupés à se nourrir sur la carcasse de l’antilope, située entre lui et notre véhicule, Albert se montrera plus nerveux à notre égard, plus attentif et plus réactif au moindre de nos gestes. Je pense que, indépendamment de l’interdiction réglementaire logique, ce n’aurait pas été une bonne idée du tout de sortir du véhicule à ce moment-là…

Nous avons pu observer cette tribu familiale de très près, et je dois dire que la musculature de ces animaux en parfaite santé était impressionnante. Leurs pattes sont particulièrement massives, et leur permettent de mettre à terre des animaux qui font parfois plusieurs fois leur propre poids. La musculature des pattes avant est telle qu’elle provoque parfois la rupture des organes internes des animaux lors du coup de patte qui accompagne l’attaque. Les pattes des lions sont munies de griffes rétractiles, qui coulissent dans un fourreau de chair, et que nous n’avions pas vues lors de leur sieste, mais que nous avons pu observer au travail lorsque les 2 jeunes lions cherchaient à déplacer le cadavre de l’antilope en tirant … chacun de leur côté ! Jolie mâchoire aussi, surtout au niveau des canines : 5 à 6 cm de long probablement…

Ce qui me fait dire qu’Andrew et Jack avaient probablement 2 ans, c’est que ces 2 jeunes mâles n’avaient pas encore de crinière, laquelle apparaît vers l’âge de 3 ans. Pas encore arrivés à maturité sexuelle (3 à 4 ans), ils s’entendaient encore bien avec Albert, leur père et chef de famille. Mais dans un an, le pater familias les chassera de la tribu sans ménagement, et eux-mêmes rejoindront alors une coalition de jeunes mâles nomades et souvent sans foi ni loi (ils transgressent fréquemment les limites territoriales odorantes volontairement placées par le mâle dominant local) qui mettra en danger la suprématie absolue d’un lion chef de clan en fin de carrière. C’est lors d’un combat singulier, parfois mortel, que l’un des jeunes mâles de la bande, devenu adulte, se mesurera au mâle dominant d’une famille dont il convoite le leadership.  Contrairement à la plupart des autres fauves, dont le comportement est plutôt solitaire, les lions vivent en groupes familiaux dont les femelles sont toujours apparentées entre elles, contrairement aux mâles (adultes) non apparentés aux femelles. Ainsi, contrairement aux mâles, les femelles vivent généralement toute leur vie dans leur groupe de naissance. Les jeunes lions mâles écartés de leur famille d’origine deviennent rapidement assez lourds, et de ce fait, ils peinent à chasser avec succès des proies vivantes d’importance. Ils pratiquent donc souvent la chasse en groupe, mais sont parfois contraints de se contenter de charognes.

Si le mâle vieillissant perd le combat contre son challenger, il prend de ce fait une option sérieuse sur sa fin de vie. Condamné à la solitude nomade après avoir régné sans partage, le vieux lion,  parfois blessé, aura de plus en plus de mal à se nourrir ; il s’affaiblira rapidement et deviendra lui-même une proie potentielle pour les hyènes, ses ennemis héréditaires. Sa fin ne tarde guère, c’est le destin peu enviable des lions mâles chassés de leur trône.

Quant au jeune mâle vigoureux et vainqueur dont la belle vie commence, il n’est pas rare qu’il débute son règne familial par … un infanticide parfois multiple ! Il tue les petits de son prédécesseur qui ne sont pas en âge de se défendre, ce qui provoque aussitôt l’ovulation des femelles du groupe familial… Incroyable, non ?  Mais souvent, les mères attaquent à leur tour le nouveau mâle responsable de la mort de leurs petits, avant de … s’accoupler avec lui (pendant 30 secondes environ, dans le genre relation violente et rugissante, toutes les 15 à 20 minutes, et jusqu’à 50 fois par jour, pendant 3 à 4 jours)! Il peut ainsi s’assurer sa propre descendance sans perdre de temps, car la compétition est rude entre mâles, et les jours du nouveau chef au sommet de la hiérarchie du clan sont … déjà comptés ! Il ne pourra pas rester plus de 3 ou 4 ans à la tête du groupe, avant d’être à son tour détrôné par un jeune ambitieux devenu plus fort que lui…

Ce que la nature est capable de mettre en place !

Les antilopes très rapides comme les impalas ou les springboks sont peu convoités par les lions, qui échouent trop souvent à les cibler comme proies. La lionne, accompagnée des jeunes de la tribu âgés de 2 à 3 ans, préfère attaquer des bovidés de taille plus importante, et donc plus lents, comme les koudous, les nyalas, les oryx, les élands ou les gnous. Elle ne dédaigne pas non plus attaquer les petits steenboks et les dik-diks, ou encore les zèbres et les phacochères. Des études ont montré que le pourcentage de réussite des attaques d’une lionne se répartit en 21% pour la chasse diurne contre 33% pour la chasse nocturne, mais surtout ce pourcentage atteint 41%  lors des attaques en zone de buissons contre seulement 12% en terrain découvert. On retrouve là le fait que les lions sont de moins bons coureurs que les guépards par exemple. La réussite de l’attaque chez les lions est donc surtout liée à la réussite de l’approche discrète de la proie. Si la lionne parvient à une trentaine de mètres de l’animal convoité, l’attaque a de bonnes chances de réussir, car la charge est très brutale. Les foulées de la lionne peuvent alors atteindre 6 à 8 mètres de longueur, parfois plus, et ses bonds 4 mètres de hauteur... Le premier objectif de la lionne est de parvenir à jeter sa proie à terre, de façon à anéantir la plupart de ses moyens de défense ;  pour cela elle utilise sa force d’impact en sautant sur le dos de l’animal toutes griffes dehors, puis saisit l’animal à la gorge, avec l’objectif affiché de lui sectionner l’œsophage  et la trachée, si possible en atteignant la veine jugulaire ou la carotide… La première lionne chasseresse est très vite aidée par d’autres animaux du clan, qui maintiennent souvent l’animal attaqué par le museau, alors que d’autres encore le mordent fréquemment au niveau de la base de la queue, ce qui semble provoquer chez la proie une apathie vite fatale. L’animal attaqué meurt en général rapidement, quelques sales minutes tout de même, mais l’agonie de certains buffles peut durer plusieurs dizaines de minutes… J’ai lu également quelques récits d’attaques d’humains par des lions : aucune chance d’en réchapper en l’absence d’un coup de carabine bien ajusté par un tiers présent sur les lieux au bon moment. L’homme est généralement attaqué au cou, et un seul petit coup de mâchoire suffit à lui briser la nuque…

Lors de notre observation à Etosha, nous ne verrons pas la lionne mère de famille se nourrir sur la carcasse de l’antilope. Très propre sur elle, elle se tiendra en retrait, l’air totalement serein, satisfaite du spectacle de ses deux portées en train de se goinfrer de chair sanguinolente. C’est pourtant elle qui a du tuer l’animal. Mais elle a du métier, et sait accomplir cette tâche sans se salir. Andrew et Jack se lanceront quelques grognements sans conviction pour avoir la meilleure place autour du cadavre, et ils se mettront du sang partout. La petite sœur n’a apparemment très faim. Quand Albert décidera d’aller manger, ses fils lui laisseront la place sans discuter. Le lion estimera que le cadavre de l’antilope est mal placé, alors il le tirera de 2 mètres en arrière d’un puissant coup de mâchoire. Puis il se mettra à table, là encore avec beaucoup plus de métier que ses deux fistons. Son repas ne durera pas plus de 15 minutes, puis il laissera à nouveau la place à Andrew et Jack, toujours maladroits et encore affamés.



Ouahhh ! Quel spectacle !



Mais la nuit tombera bientôt sur le Parc National d’Etosha. Il nous faut laisser les lions à leur vie sauvage. A Etosha, leur vie est malgré tout moins dure qu’ailleurs : ils n’y sont pas persécutés, et disposent ici en permanence de proies abondantes.

A regret, je redémarre le moteur du Toyota. Albert, dont la gueule est rouge de sang, nous fixe de ses yeux intenses.

Nous quittons les lieux doucement, sous le regard attentif du maître incontesté des lieux.

En faisant demi-tour sur la piste, je m’aperçois qu’un chacal attend tranquillement son heure, à une cinquantaine de mètres du cadavre de l’antilope, assis dans les herbes hautes. Au creux de la nuit, quand les lions somnoleront, il s’aventurera, à pas prudents, mais au péril de sa vie, vers les restes du festin, pour tenter d’assouvir sa faim…


Photo 1 - Dans le parc national d'Etosha...


Photo 2 - ... en Namibie...


Photo 3 - ... les lois de la nature...

Photo 4 -  ... et de la vie sauvage...

Photo 5 - ... sont à l'oeuvre.

Photo 6 - Un bel impala...

Photo 7 - ... un gnou...

Photo 8 - ... des vautours...

Photo 9 - ... un éland...

Photo 10 - ... une girafe...

Photo 11 - Et soudain...

Photo 12 - ... une tribu de lions!

Photo 13 - C'est l'heure de la sieste, 5 lions dans quelques m2...

Photo 14 - Une fois la voiture tournée, Barbara est aux premières loges, vitre baissée, à 3 ou 4 mètres...

Photo 15 - Présentations, lui c'est Albert, le maître incontesté des lieux...

Photo 16 - Il somnole, mais on n'a pas envie de trop le déranger...

Photo 17 - Elle c'est Victoria, la mère de famille, c'est elle qui mène la chasse...

Photo 18 - Lui, c'est Andrew, l'un des deux fistons, 2 ans peut-être, déjà impressionnant...

Photo 19 - Et voici Jack, son frère, même portée, même gabarit, tout aussi dangereux...

Photo 20 - Et la petite dernière, Cherry, un an a priori...

Photo 21 - Quand Andrew baille, ca se voit...

Photo 22 - Pour une fois, Adélie refreine son envie de caresser tous les animaux qu'elle rencontre...

Photo 23 - Allez, une gros plan un peu technique pour tous nos amis chirurgiens-dentistes...

Photo 24 - On relève les empreintes, au cas où il y aurait bientôt meurtre...

Photo 25 - Et puis, si Andrew dort encore...

Photo 26 - ... Jack, lui, commence à s'agiter. La faim, peut-être...

Photo 27 - Mais c'est Victoria, la lionne adulte, qui donnera bientôt  le signal de la chasse!

Photo 28 - Les regards changent, celui de Jack...

Photo 29 - ... et celui du boss. Pas de doute, l'ambiance se gâte...

Photo 30 - Quand nous revenons une heure plus tard...

Photo 31 - ... le spectacle, à 4 ou 5 mètres de nous, est d'un autre registre...

Photo 32 - Une antilope a été attaquée et est à l'agonie...

Photo 33 - Jack à l'oeuvre...

Photo 34 - Pas joli joli...

Photo 35 - ... le repas des fauves!

Photo 36 - Andrew et Jack sont les plus gourmands, des goinfres...

Photo 37 - ...qui mangent plutôt...

Photo 38 - ... salement, disons!

Photo 39 - Andrew mange goulûment ses 6 à 7 kg de viande par jour, crue bien sûr...

Photo 40 - Ah la la que c'est bon, allez je fais une pause!

Photo 41 - Albert est plus nerveux avec nous, après la chasse. J'ai le doigt sur le démarreur du Toyota...

Photo 42 - Le boss nous a à l'oeil, malgré les mamours de Victoria...

Photo 43 - Papa et Maman attendent que les 3 jeunes soient rassasiés...

Photo 44 - Rien à faire, l'humeur du patron n'est pas très bonne, la marque Toyota peut-être...

Photo 45 - A gauche, Victoria, puis Andrew, Albert et Jack...

Photo 46 - Le lion s'approche pour manger, mais il n'apprécie guère notre présence, à l'évidence. Ne pas bouger d'un pouce, surtout!

Photo 47 - Victoria, toujours très classe, et son voyou de fils, Jack...

Photo 48 - Merci Albert (après son repas), pour le beau spectacle de ta jolie petite famille... Longue vie à ta tribu!