dimanche 18 mars 2012

MESSAGE N° 0 – Traversée Georgetown (Ile de l’Ascension) – Praia de Santiago (Iles du Cap Vert)

Traversée Georgetown (Ile de l’Ascension) – Praia de Santiago (Iles du Cap Vert)
 Boucler … la boucle…

JOUR 0 – Dimanche 18 Mars 2012 – Appareillage de Georgetown


Une traversée pas forcément facile en perspective. 1466 milles en route directe, mais autant oublier tout de suite la route directe… Trois jours d’escale au mouillage de Clarence Bay, un mouillage un peu agité du fait des rafales de vent et du ressac, à côté des barges de l’US Air Force amarrées à leurs coffres. Une île particulière que celle de l’Ascension, une île de lave, souvent aride et désolée, sans eau douce, sauf aux environs du sommet de Green Mountain. L’US Air Force y entretient une base aérienne militaire, dont la piste, Wideawake, est partagée avec la Royal Air Force. L’île est anglaise, mais la base de la RAF est beaucoup plus modeste que celle de l’US Army. Par ailleurs, l’île de l’Ascension est couverte d’antennes  de toutes sortes, des petites, des moyennes, des grandes, et des gigantesques ! Ecoutes en tous genres (civiles et militaires), pilotage ou suivi de trajectoires d’engins spatiaux (dont Ariane), satellites et missiles, transmissions radio (dont la BBC, avec une énorme installation), Cable & Wireless et j’en oublie sûrement. Vous l’avez compris, il faut obtenir un permis avant de pouvoir faire escale à l’île de l’Ascension, et montrer patte blanche. Sans doute aussi vaut-il mieux être français qu’iranien par exemple…On vous racontera notre séjour à l’Ascension dans quelque temps.

Les deux meilleurs souvenirs que nous garderons de cette escale pas comme les autres, ce sont l’abondance et la familiarité des black fish, petits poissons voraces qui faisaient notre vaisselle dans la mer et nettoyaient nos carènes, et le spectacle insolite des énormes tortues marines, qui, la nuit venue, passaient de part et d’autre de notre voilier seul à l’ancre, et nageaient vers la plage de Clarence Bay pour aller y faire un trou et pondre leurs quelques dizaines d’œufs au prix d’un effort physique incroyable… Nous avons appareillé ce matin vers 09H00. Heure GMT à bord.

En début de traversée, pendant 3 jours environ, nous allons manger notre pain blanc, poussés à bonne vitesse par les alizés de sud-est de l’hémisphère sud. Cap au 350, un peu à droite de la route directe, pour gagner dans l’est, mais pas trop ! Puis les alizés vont faiblir, et disparaître complètement, entre 2° Sud et l’Equateur. Merde ! Nous serons alors dans le Pot-au-Noir, la ZIC (Zone Intertropicale de Convergence). Jusqu’à 5° Nord environ. Pas de vent établi, des grains, des orages, de la houle… Ce sera dur pour le gréement, les voiles, les nerfs, peut-être aussi pour certains estomacs… Dur pour la moyenne journalière aussi, qui va chuter grave… On fera appel aux Volvo pour tenter de progresser lentement vers le Nord, et raccourcir la traversée de ce segment de route désagréable. Il existe une part de chance (ou de

malchance) aussi sur ce parcours. La ZIC sera-t-elle large au moment où nous nous présenterons ? Moins de 300 milles ? 300 milles, ou davantage ? Le pire, c’est quand vous êtes rentrés dedans et qu’elle bouge en latitude avec vous, dans le même sens… Le meilleur scénario, c’est l’inverse : vous allez vers le nord et elle va vers le sud. On verra bien, de toute façon, quand on est dedans, l’objectif se simplifie : il faut en sortir ! Par la suite, c’est toujours pas gagné. Vous voyez le bout de la ZIC, en général avant que le scorbut ne se déclare à bord (j’ai trouvé quelques rarissimes citrons à Georgetown Samedi matin, débarqués la veille du RMS Saint-Helena, en provenance de Jamestown et Cape Town, le ti-punch va donc pouvoir s’imposer à nouveau au coucher du soleil - après une difficile période d’abstinence - pour maintenir le Capitaine à 100% de ses moyens) mais vous êtes accueilli en général assez fraîchement par les alizés de nord-est. Ce qui signifie navigation au près serré, une allure assez peu recherchée par les marins au long cours, sauf quelques allumés. Si on a de la chance, ils ne seront pas trop nord, ces nouveaux alizés, et on peut espérer faire route sur un bord (tribord amures) vers Praia, la capitale des Iles du Cap Vert, sur l’île de Santiago. Si ils sont très nord (comme dans les 8 jours qui viennent), c’est baisé, il faut tirer des bords. Et là, bonjour l’ambiance ! Et si vous ne tirez pas des bords, alors c’est l’Amérique qui vous accueillera quelques semaines plus tard en principe, avec, entre les deux, l’Océan Atlantique à traverser. Bref, sur cette traversée, il faut faire un minimum de stratégie, et avoir un minimum de chance. L’idée, c’est de faire route au départ vers un waypoint intermédiaire à droite de la route directe (mais pas trop) jusqu’à perdre les alizés de sud-est. Ensuite, route au nord dans la ZIC (là, tous les moyens sont bons pour progresser, voiles, moteurs, avirons, godille, nage palmée avec une aussière entre les dents, etc…), cap sur l’archipel des Bijagos (Afrique de l’Ouest). Dès qu’on sort de la ZIC, bye bye les Bijagos, faire route au près serré tribord amures vers Praia de Santiago, en espérant que ça le fait. Si ça le fait pas, tirez des bords en essayant de garder le sourire (pas facile)… Mais aller très à droite pour être bien placé en sortant de la ZIC et espérer faire route sur un bord vers Praia, c’est dangereux. Plus vous traversez la ZIC près de l’Afrique, plus elle est large. Et il existe souvent près de l’Afrique une zone dépressionnaire avec des vents tourbillonnants moyennement funs, de gros orages et des pluies torrentielles… Bref, pendant cette traversée, garder le moral !

Ce matin, j’ai essayé un leurre orange réunionnais sur la canne Penn à bâbord, mais il n’a pas de succès avec les poissons. J’ai mis le leurre classique vert et noir à tribord sur la canne japonaise, et nous avons sorti une coryphène d’1,40 mètre. Après un combat héroïque (c’est la formule consacrée) qui faisait suite à la classique prière du pêcheur (« Oh mon Dieu ! Donnez-moi un poisson suffisamment grand pour que je ne sois pas obligé de mentir ! »), Marin a fléché le splendide animal vert-jaune fluo à la grande arbalète, et je l’ai débité en 3 gros morceaux qui ont pris le chemin du frigo, coque tribord. Barbara, bientôt tourdumondiste brevetée,  s’est fait une règle : toujours laisser le poisson pêché 24 heures au frigo, il est alors meilleur que le jour même.

Au fait, ce sera évidemment l’évènement majeur de cette traversée !

Dans quelques jours, une huitaine peut-être, à environ 400 milles dans le sud-est des Iles du Cap Vert, Jangada recoupera le sillage qu’il  a tracé dans la mer en Décembre 2009, au départ de Casamance, en route vers les Rochers Saint-Paul !

Nous aurons alors bouclé la boucle !

Pour pouvoir annoncer la nouvelle à mon petit équipage en temps voulu, avant que la balise Argos ne certifie l’évènement, j’ai commencé à transcrire manuellement sur une carte marine appropriée le listing des positions satellite calculées à cette époque par le système Argos… Bon, chaque chose en son temps, hein !

A demain !

Olivier